Buenos Aires, troisième jour
Aujourd’hui, je me suis fait une amie
Elle s’appelle Marie-Luisa, vit en Suisse mais d’origine péruvienne et… La cinquantaine au moins, mariée à 20 ans (et divorcée très vite), 5 enfants et déjà grand-mère 2 fois !
L’avantage de voyager seule, c’est qu’on fait plus facilement des rencontres. Agréables ou non d’ailleurs. En l’occurrence, Marie-Luisa est une personne intéressante : originale et très extravertie. Passionnée de danse, elle vient un mois à Buenos Aires pour une unique raison : le tango.
Rencontrée au petit-déjeuner, nous partons ensemble visiter le quartier de la Bocca.
Une autre facette de Buenos Aires
Comment imaginer qu’un tel quartier puisse être mal famé ? Très touristique de jour, repère des ladrones la nuit, cet endroit est d’une incroyable gaité. Seulement quelques ruelles, dont les maisons sont basses, faites de bois et de tôles ondulées, et peintes de couleurs vives et variées. Un trompe-l’œil en réalité, car c’est un quartier pauvre de Buenos Aires.
L’histoire picturale du quartier est originale. Un bébé abandonné est recueilli par une famille pauvre de la Bocca, qui l’élève comme son propre enfant. Devenu adulte, Quinquela Martín est un peintre célèbre dans les années 20 et 30 (non moi non plus je ne connaissais pas je vous rassure). Il décide alors de faire construire une école dans ce quartier insalubre, et demande à chaque habitant d’aider à en peindre les murs. Tous viennent avec un fond de pot de peinture différent, et le résultat étant amusant, ils décident d’en faire de même pour leur propre maison. Ainsi né le style bariolé de la Bocca.
Ayant visiter le quartier un peu tôt le matin (pour cause de décalage horaire !), il manquait d’animation, de danseurs de tango, de peintres… A visiter de nouveau absolument !
Ce lieu est aussi mondialement connu pour… son stade de football ! La Bombonera, d’un beau jaune vif et bleu azur, ne déroge pas à la règle architecturale. Et c’est tant mieux ! C’est un véritable lieu de culte qui déchaîne d’innombrables passions. Même les incultes de football (d’accord, de sport en général) comme moi ont déjà entendu parler de Maradona… Dont l’histoire et les photos ornent les murs de mon auberge de jeunesse d’ailleurs.
San Telmo
Un peu plus au nord de la Bocca, San Telmo est un ancien quartier chic reconvertit en lieu bohème où dominent les antiquaires et les brocantes de rue. Encore un quartier cosmopolite, où les grandes maisons de style coloniale sont ici souvent à l’abandon, ce dont les autorités locales ne se soucient guère. Encore une fois, le meilleure moment pour s’y rendre est le dimanche, pour le marché. En semaine, le quartier est calme et la petite place centrale n’est guère animée.
C’est ici, dans les bars de San Telmo, qu’est né le tango. En parlant de tango…
Quand danser le tango est encore plus dur que cela en à l’air
Il se met à pleuvoir. Ca tombe bien, Marie-Luisa a repéré un endroit où l’on donne des cours de tango, pour tous les niveaux. La Confiteria Joleal est un vieil édifice, et l’intérieur l’est tout autant. On pénètre dans grande salle de bal d’une autre époque, dont les multiples fissures du haut plafond témoignent d’un manque de moyen financier. Nous sommes une dizaine, beaucoup plus âgés pour la plupart, dont des couples d’un autre monde (robes cucus pour mesdames, chemise avec nœud papillon et lunette en cul-de-bouteille pour messieurs, je vous laisse imaginer). Le cours commence, encadré par un homme et une femme d’une quarantaine d’années. Décrite telle quelle, l’ambiance peut sembler sinistre, mais elle est en fait égayée par le comique des personnages, et embellie par la musique de tango qui envoute la salle.
Trois heures. Trois heures durant lesquelles j’ai appris tenté d’apprendre les bases du tango. Buste bien en avant, jambe fléchie mais pas trop, alternance entre rythmes lent et rapide, cette danse est tout un art. Après avoir appris individuellement, hommes et femmes se retrouvent par pair et là… C’est plus ou moins la catastrophe. Plus pour moi à vrai dire. En même temps, mon partenaire est un vieux monsieur de 70 ans, dont la chemise moite ne m’engage guère à lui entourer l’épaule… Bon, allez, je vais être honnête, c’est surtout parce que je ne suis pas douée. Heureusement, la parité homme/femme n’est pas respectée, et je profite que mon octogénaire me délaisse pour quelqu’un de sa génération afin de me reposer les pieds.
Malgré tout enchantée par l’expérience, je me promets de la renouveler à mon retour de Buenos Aires. Nous ressortons : le ciel bleu est de retour. Je me sépare de Marie-Luisa qui part acheter des chaussures de tango.
Congreso Nacional
J’en profite pour faire un petit détour sur l’avenue de Mayo, qui débouche sur le Congreso Nacional. Siège du Sénat et de la Chambre des députés, son immense dôme en bronze et son aspect monumental tranche incroyablement avec les immeubles des années 30 qui l’entourent.
Pause glace au Dulce de Leche (j’étais obligée d’essayer), et me voilà de retour à l’auberge.
Tango, encore et toujours
Je retrouve Marie-Luisa qui me propose qu’on sorte le soir dans un bar à tango typique. Pourquoi pas ? Et nous voilà dans un vieil établissement, apparemment très prisé à en juger le nombre de porteños qui s’y retrouve pour danser. Encore une fois, la moyenne d’âge est plutôt la soixantaine, et je ne sais pas danser (non, mon cours de l’après-midi n’a pas fait de moi une professionnelle, je suis pourtant tellement douée !). Mais le spectacle n’en demeure pas moins passionnant.
C’est tout un rituel. La musique débute. Cela peut être un tango, une valse argentine ou une milonga au rythme rapide et entraînant, et les hommes cherchent une partenaire. La piste de danse se remplit alors de couples en tout genre, de grandes femmes filiformes avec des petits rondouillards, ou bien l’inverse, mais les différences s’effacent lorsque les partenaires se mettent à danser. Cela demeure encore un mystère pour moi : comment les danseurs font-ils pour ne pas se marcher sur les pieds ? La salle est comble, mais chaque couple tourbillonne autour des autres, et le résultat est magique, bien qu’il s’agit d’amateurs (enfin, moins amateurs que moi…).
Durant trois séquences de musique, les danseurs sont intimement collés, corps contre corps et joue contre joue. Les pas de danse sont tels que les jambes s’entrecroisent et le résultat est indéniablement sensuel. Durant les deux courtes pauses qui s’intercalent, le couple se sépare discute passionnément ou bien restent silencieux, peut-être un peu gênés si le ou la partenaire ne trouve pas l’autre à son goût. La dernière période se termine, les danseurs se divisent et la piste se retrouvent alors vide en quelques secondes. Stupéfiant.
Même sans danser, je n’ai pas vu le temps passer et comprends la ferveur des argentins à danser le tango. Tout un art.